Ils en parlent....

Catherine Thiry

La force, l’énergie et la poigne, sont les premiers mots qui viennent à l’esprit pour parler des sculptures, souvent monumentales, de Catherine Thiry.  Dans son œuvre, c’est pourtant le frémissement des surfaces qui nous atteint, et l’émoi indicible que vit chaque être ébauché de ses mains.

J’aimerais savoir comment vous êtes devenue artiste…  L’avez-vous décidé ?

Je ne sais pas si cela se décide, ni même comment définir l’art… Pour ma part, c’est une action qui permet d’accepter le réel. J’essaye de répondre par le geste, aux interrogations qui me traversent, et de chercher sans fin la forme absolue.

Au début de mon parcours de peintre, je voulais simplement utiliser une habileté que j’avais à dessiner, pour me créer une vie meilleure.

En effet, dès mes 16 ans, dans le but d’être autonome, je travaillais dans le milieu équestre. Du poney club aux écuries de courses, j’y ai passé près de 10 années.

Et un jour je me suis souvenue que je savais dessiner. Alors j’ai proposé aux gens autour de moi, des portraits de leurs animaux. Sans intention ni prétention artistique, j’y trouvais un moyen de subvenir à mes besoins. Ça marchait très bien pendant des années, et au fil du temps, j’ai appris à mieux peindre.

Tout doucement, les couleurs de ma palette sont devenues le carburant de mon imaginaire. Tenter des expériences sur la toile me donnait une telle énergie, que j’ai fini par rechercher uniquement cette source de joie !

Par chance, un public m’a suivie, et grâce à ce soutien j’ai pu arrêter de faire des portraits, et écouter réellement mes aspirations.

Le modelage découle naturellement de cette évolution. Je retrouve d’ailleurs ma touches de peintre dans la texture de mes sculptures.

Parlons justement de cette texture étonnante et singulière, ce mouvement que vous imprimez dans la terre, comme un souvenir vivant. 

L’empreinte est touchante, elle donne envie de plonger les mains dans la terre, tant ce geste semble spontané et joyeux dans vos œuvres.

Oui, c’est un plaisir et un jeu avec la lumière. J’ai besoin de la texture pour qu’elle s’y accroche.

Comme un peintre cherche une trace toute simple qui peut évoquer le sentiment juste !    A l’atelier, je valide uniquement des sculptures qui me bouleversent, la seule référence est ma propre sensation.

 

Tout au long de votre progression, quels sont les artistes qui vous ont le plus émue ?

J’ai toujours adoré des peintres comme Rik Wouters, Vincent Van Gogh… mais j’ai été réellement transportée par la peinture de Marc Rothko. Comme si chaque infime nuance de ses toiles me parlaient directement de ce que je vivais. La vibration qui s’en dégage m’atteint au plus profond de mon être. 

Francis Bacon a aussi été une découverte extraordinaire. Un peu comme si je pouvais entrer dans ses tableaux et voyager dans la conscience.

J’ai rarement été touchée par la sculpture, jusqu’au jour où j’ai aperçu une œuvre de Henry Moore.   Je me souviens être au milieu d’une foule à la TEFAF, et ne pas parvenir à quitter cette sculpture des yeux. J’ai compris comment des formes pouvaient se parler entre elles et l’air qui les entoure.  Emue aux larmes, je me suis sentie devenir ces formes.  A cet instant j’ai su que le chemin de la création serait long et passionnant !

LES MAINS DE CATHERINE THIRY

L’œuvre sensuelle et spontanée de Catherine Thiry naît de la rencontre des mains du sculpteur avec la terre. C’est dans ce dialogue tactile qu’elle puise son inspiration ; « Je ne choisis pas mes sujets, ils s’imposent », nous confie-t-elle. Catherine modèle la terre selon sa technique si particulière, faite de reprises, d’épaisseurs et d’irrégularités qui valorisent la matérialité de l’œuvre. Une fois le geste terminé, l’artiste confie son travail à sa fonderie partenaire. Cette dernière emploie le procédé de la cire perdue pour rendre fidèlement les beaux accidents du modelé, dans un bronze qui semble animé. Y apparaissent les aspérités, les volumes, et même les empreintes digitales de l’artiste, témoignages de la rencontre magique entre ses mains et la terre glaise. 

Lorsque l’œuvre naît, Catherine ne sait pas ce qui va émerger de la terre. Elle raconte : 

Ce qui s’exprime est au-delà des mots et de mon conditionnement. Je n’écoute que mes sensations et j’essaye d’éviter au maximum d’avoir un avis, une pensée ou un jugement sur le résultat.

C’est le geste qui me guide vers ce qui est neuf à chaque instant, la vie !

Et la danse avec la terre me conduit là où plus rien n’a d’importance sauf l’intensité du présent.

Le titre vient après, parce que j’ignore tout ce qui va être dit pendant la création… Comme disait Edward Hopper : « Si vous pouviez le dire avec des mots, il n’y aurait aucune raison de le peindre. »

Donner un nom, un titre à ce qui se joue au cœur de l’atelier est dérisoire à mes yeux.

J’essaye juste qu’il n’abîme pas la sensation que j’ai eu la joie de connaître, en vivant cette expérience. Je voudrais que l’œuvre induise uniquement des questions vers nous-même, je ne souhaite pas donner d’explications.

un peintre dont j’ai oublié le nom disait : « Lorsqu’une œuvre à besoin d’une explication… souvent l’explication, n’a pas besoin de l’œuvre. » ». 

Catherine Thiry offre donc pour chaque création un concentré de vie, d’émotions et d’instincts ; une bribe d’infini, comme elle le suggère elle-même. Son art est empirique avant tout et s’ancre dans une recherche du sensible. 

La Galerie Hurtebize a choisi de défendre la beauté de sa poétique en proposant plusieurs pièces de l’artiste : des bustes, comme Sagace et Panacée, des portraits, comme Le Kid, Effigy ou Ma Parole, mais aussi d’autres types d’œuvres, comme Paradigm, Tempera et Lucid. Ces trois sculptures racontent le sentiment humain à travers l’emploi de la figure animale. Toutes ces pièces sont des bronzes originaux, dont la forme, la taille et la patine ont été soigneusement élaborées par leur créateur. 

Venez découvrir notre parcours d’exposition où les œuvres des maîtres de l’abstraction Lyrique – Hans Hartung, Georges Mathieu, Pierre soulages, John Levée, Jean Miotte, Jacques Germain – s’accordent et interagissent dans une union parfaite avec le parterre de sculptures de Catherine Thiry. Thiry est une sculptrice de l’intensité, du geste fort, tout comme les lyriques ouvrirent la voie à la peinture du Moi sensible par une gestuelle spécifique. C’est cette même volonté de liberté d’expression et d’universalisme qui coordonne le dialogue des œuvres modernes et des sculptures contemporaines de la Galerie Hurtebize. 

Marie Cambas

Galerie Hurtebize – 2019

Catherine a des mains blessées, de travailleur de force,
de lavandière ancienne.
Elles dansent devant vous quand elle parle.
Elle les broie quand elle tresse la carcasse filaire, qui sera l’os
et le fil de la neuve chose qu’elle dresse hors de terre.
Elle les tient chaudes pour approcher la glaise qu’elle torture
et caresse. Elle les noue sur le cou, le dos, le ventre et les joues
de ce qui lui sort des doigts : le vif, le beau, chaud.

Je n’ai jamais vu Catherine « œuvrer »,
Je l’imagine seulement, en laissant ses jolies mains carrées
me dire leur bonheur de « faire ».

Catherine sculpte et peint. Elle sculpte comme elle peint
et fait le chemin inverse de l’œil à la main.
Il faut laisser ses éclats de vie, quasi monochromes sur toile,
brutalement écaillés en bronze, surgir d’elle et vous envahir l’œil,
le cœur et la main qui s’avance pour toucher
la caresse crûe qu’elle leur a donnée
à coups de brosse, à coups de doigts, à coups de poings parfois.

Catherine est une force nature,
qui prend à bras-le-corps les formes qui germent en elle
depuis des lunes , depuis l’enfance.
Elle est libre de les tordre ou les tendre à son gré
car elle n’a jamais appris, elle a regardé. Les chevaux, en premier.
De tout temps dont elle se souvienne ils furent là, à la frôler,
la dompter et la pousser dans ses derniers retranchements.
D’eux lui sont venus la force, l’œil et la main
pour poser hors d’elle, leurs couleurs et mouvements insensés
qui d’un coup de pinceau devenaient siens.
D’eux lui sont venus le geste, l’assurance et la justesse
pour modeler à son idée terre et ciel et couler
son image dans le bronze que l’on dirait cabossé.
Ces pégases alignés sont ses mentors, ses passeurs de vie, sa liberté.

Catherine ne ressemble à rien, elle invente.
D’un geste, elle capte le mouvement suspendu d’un homme
que le doute blesse, l’intime conviction alanguie d’une « petite »,
le pas infini d’un poney minuscule ou le regard éloigné d’un «cador»
dont elle ne livre que la tête émergée.
De coup de pouce, il me semble, en coup de poing aussi sans doute,
elle taraude la terre, la tord, la plaque, en fait une carapace
qui gaine l’instant funambule que son œil a capté.

Etrangement, le passage au bronze sublime cette instantanéité.
Jamais elle ne tombe dans la redite, l’automatisme.
Sa liberté me sidère et me touche.

Catherine peint, et sa peinture lui ressemble bien.
Libre et mouvante, émouvante,
comme les regards qu’elle détaille, voile ou gomme délibérément.
Là aussi, les chevaux n’en sont pas.
Ils déboulent, se noient et poudroient dans l’éclat de couleurs primales,
quand les visages humains émergent, interrogent
ou s’abîment dans les mêmes teintes folles et profondes.
Elle tient un rouge affolant, un bleu bouleversant
que j’ai envie de nommer centaure !
J’ai le souvenir d’un bleu de ventre de mer pour un «Somewhere»,
cheval malheureusement évanoui puisqu’il est vendu…

Catherine sculpte et peint, droit au cœur.
Elle met son bleu à l’âme, mais brandit feu et flammes
sans peur, en toute liberté.
Car il y a de l’allégresse dans son art et une force pénétrante mêlées,
qui surgissent d’elle et prennent à la gorge comme un chagrin d’enfant.

Je n’ai plus rien à dire en mots,
je veux laisser ses mains d’ouvrière inouïe
remuer ciel et terre
et la laisser, de ses doigts
toucher le cœur de la couleur du temps.

 

Sculpter. Sans effort. Monter une silhouette à la glaise. C’est ce que fait Catherine Thiry. Le travail de cette artiste autodidacte est à découvrir à The Latem Gallery à Sint-Martens-Lathem jusque fin novembre mais aussi à l’année à la Macadam Gallery à Bruxelles.

Qu’est-ce qu’une silhouette si ce n’est une structure, un squelette sur lequel se fixent muscles, tendons et chairs ? Qu’est-ce qu’une sculpture si ce n’est cette même structure sous-jacente ? C’est la capacité à comprendre et reproduire la structure rigide qui sous-tend toute forme qui fait le sculpteur. Si cette structure n’est pas présente, ou au moins pensée par l’artiste, l’œuvre ne tient pas. Cette capacité, Catherine Thiry l’a. Une tête. Peau et chair sur la surface dure du crâne. Un cheval, squelette si complexe, gracieux mais puissant. Une jeune femme, ligne sinueuse et pourtant soutenue… Ils sont là, sous nos yeux, nés du savoir-faire de l’artiste, en glaise, en larges ajouts de matières, comme des coups de pinceaux. Ainsi, le volume naît d’un ensemble de traits qui jouent avec l’ombre et la lumière. Cela rend la surface vivante, vibrante. Ces silhouettes sont ensuite coulées en bronze ou dans un autre métal.

Au-delà de la forme, vibrante, des surfaces, palpitantes, c’est l’émotion qui préside. De la sérénité à la colère, en passant par la timidité, l’introspection, la peur, la retenue, la fierté, toute une palette d’émotions sourdent de chacune des sculptures de Catherine Thiry. Sous leur aspect classique, ses sculptures nous disent notre commune humanité profonde.

Muriel de Crayencour

http://mu-inthecity.com/2016/11/catherine-thiry-palpitations/

Revue de presse